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Des préjugés qui persistent : les cas de Radio X et du FM93

Par Éric Gagnon Poulin

CHOI Radio X et le FM 93 sont deux stations de radio privées de la région de Québec, souvent classées dans les trois premières des sondages Numéris[1] chaque année, au côté d’ICI Radio-Canada Première (publique), avec un nombre d’auditeurs oscillant entre 150 000 et 250 000 par jour. Contrairement à Radio-Canada, Radio X et le FM93 répondent à la définition de « radios de confrontation » de Hutchby, ayant fait leur réputation sur leurs prises de position et leurs propos souvent « choquants, dénigrants et méprisants » (Vincent 2005, dans Turbide 2015, 2)  sur des thèmes récurrents, notamment sur les autochtones, les écologistes, les étudiants, les féministes, la communauté LGBT+, l’immigration, les gauchistes, les cyclistes et, le cas souligné dans ce chapitre : les « pauvres ».

Les extraits reproduits dans ce texte ont majoritairement été répertoriés et archivés par la Coalition sortons les radio-poubelles[2], militant contre ce genre de propos. J’ai donc puisé les prochaines citations à partir des enregistrements disponibles sur leur site internet.

Par exemple, Dominic Maurais (DM) à Radio X, dans un jeu qu’il appelle The Price Is Right du BS, aborde le comportement et les valeurs morales des assistés « aptes » au travail :

DM – Ce qui m’intéresse là-dedans, c’est les gens qui peuvent travailler, sans aucune contrainte. Aucune ! Les gens avec contrainte, oui, il faut les aider et plus que ça. Les gens avec une contrainte temporaire, oui, l’État doit être là pour eux. La question qu’on doit se poser, c’est les gens qui sont capables de travailler. Pourquoi on les aiderait et pourquoi on les aiderait pendant aussi longtemps ? (Maurais 2012a)

Plus tard, il s’en prend aux diplômés universitaires considérés « aptes » au travail, toujours sous forme de jeu avec un auditeur anonyme (AA), cherchant à savoir le nombre de ces diplômés dans cette situation :

DM – Mais, c’est gros pareil ; t’as un diplôme universitaire, mais tu te pognes le cul sur le bien-être sans contrainte. Oubliez pas ça ! C’est sans contrainte, je le répète, y’a pas de contrainte, vous êtes aptes au travail. Salut, Maurais live, c’est quoi le chiffre ? […]

AA – Y’en a qui ont eu des papiers comme inaptes au travail, pis pour moi, ils l’ont eu s’a slide.

DM – Peut-être, mais moi j’ai des chiffres, les chiffres sont tellement gros pour « apte au travail », j’pense qu’on devrait s’attaquer à ça, au début…

AA – OK, les diplômes. Les diplômés, ils doivent être au moins 12 800.

DM – Baisse un peu. Le chiffre est quand même gros pareil.

AA – Ben, c’est trop ! Voyons donc, un diplôme universitaire !

DM – J’le sais que c’est trop. Continue, baisse.

AA – J’te dirais 11 850.

DM – Essaye donc 8 700 pour voir. Dis-le donc pour voir si ça va marcher.

AA – 8 700 !

DM – Bon tu l’as, ça marche, la tune est partie.

Musique thème de The Price Is Right

DM – Les gens qui sont là-dessus, sans contrainte, sont là-dessus depuis combien de temps en moyenne ?

AA – Trois ans.

DM – Ah, ben plus que ça ! En moyenne, en moyenne…

CA[3] – Pense à chose qui est là-dessus depuis 22 ans.

[…]

AA – Maximum huit ans, j’peux pas croire !

DM – Il va falloir que tu croies !

[…]

DM – C’est plus de huit ans, mais je te le donne pareil, parce que t’es ben fin !

Musique thème de The Price Is Right (Morais 2012b).

 

Dans une conversation entre un auditeur anonyme (AA) et Éric Duhaime (ED) au FM93, l’animateur s’attaque aux comportements et aux valeurs morales des assistés.

AA – Ils sont payés à rien faire, ils sont trop lâches pour aller travailler. Je suis quasiment enragé.

ED  – Vous êtes à la retraite ? Les gens sur la retraite, ils font moins que les assistés sociaux […]. Après un an ou deux, si tu veux pas t’aider, bien nous, on t’aide plus là.

AA – Cette gang-là, c’est une gang de pourris !

ED – Vous avez raison, merci ! (Duhaime 2017)

 

Denis Gravel et Jérôme Landry à l’émission « Le show du matin », de retour à Radio X, poursuivent sur la même voie et vont encore plus loin en insinuant la négligence parentale des assistés :

  • Il faut protéger les enfants de ces BS-là […] Si vous pensez que c’est des préjugés, je vous amène avec moi dans ma tournée des dépanneurs du 1er […] je vais vous montrer, les gens qui […] en arrivant à la caisse […] la pinte de lait prend le bord pis la Old Milwaukee va rester […] Ça arrive à tous les 1ers du mois dans tous les dépanneurs […].
  • Même les défenseurs les plus radicaux des assistés sociaux qui sont probablement en train d’écrire une plainte qui va encore une fois être rejetée, c’est ça avoir du temps libre […] admettent que c’est rendu un problème les BS de génération en génération […].
  • Les gens aptes au travail : mets ton cadran, peigne-toi et va travailler ! […]. Lave-toi ! […]
  • On tolère des gens dix, onze ans sur le BS alors qu’ils sont aptes au travail […] ces gens-là sont des voleurs ! […] qui tu voles ? Ceux qui ont des limitations à l’emploi, ils enlèvent de l’argent à ceux qui en ont vraiment besoin […] (CPQ 2015).

Cette diatribe a d’ailleurs fait l’objet de l’une des nombreuses plaintes au Conseil de presse du Québec (CPQ) envers ce type de radio d’opinion. Ici, les deux animateurs ont été blâmés par l’organisme. « Le Conseil considère que les propos prononcés par les animateurs font preuve d’un mépris flagrant à l’endroit des assistés sociaux, mais également à l’égard de ceux qui les défendent. Dans les circonstances, on doit en conclure que les animateurs contribuent à entretenir des préjugés à l’égard de ces citoyens ». (CPQ 2015). La station a toutefois décidé d’ignorer la plainte et puisqu’il s’agit d’un tribunal basé sur l’honneur et que les droits liés au statut socioéconomique n’ont pas la même valeur que les droits fondamentaux, Radio X a pu continuer dans l’impunité et éviter un recours devant le tribunal. La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ) déplore la situation et recommande des changements depuis longtemps. « La Commission est convaincue que la spécificité de la Charte québécoise doit être réaffirmée, et que le temps est maintenant venu de donner aux droits économiques et sociaux une portée juridique qui, tout en respectant la marge de manœuvre du législateur, reflètera plus adéquatement le caractère essentiel de ces droits » (CDPDJ 2003, 22). Ces amendements se font toujours attendre.

Pendant ce temps, certains animateurs continuent de repousser les limites du discours haineux. André Arthur, un animateur bien connu pour ses positions controversées tout au long de sa carrière (désormais terminée en raison de sa dernière controverse de renommer la rue Saint-Jean à Québec le « boulevard SIDA »[4]), souhaite un plus grand contrôle des ménages assistés, à partir du moment qu’on les soupçonne de mal gérer les sommes accordées par l’État. Il s’en prend de nouveau à de présumées caractéristiques individuelles liées aux comportements et aux valeurs morales des prestataires :

Les enfants qui arrivent pas nourris à l’école le matin, l’argent est allé où ? Si ce sont des enfants de l’aide sociale, l’argent est allé où ? Qu’est-ce qu’on attend pour faire en sorte que, la famille qui reçoit de l’aide de l’État, temporairement, on nous dit, ne peut pas avec l’argent des taxes, reçu en aide sociale, ne peut pas acheter des cigarettes, ne peut pas acheter de billets de loterie, ne peut pas acheter d’alcool, ne peut pas acheter de la liqueur, ne peut pas acheter de plats préparés qui coûtent quatre fois plus cher qu’une nourriture qu’on va préparer à la maison. […] L’argent de l’aide sociale, c’est minime, c’est pour l’essentiel. Est-ce que le déjeuner des enfants ne devrait pas faire partie de l’essentiel ? […] Chaque fois qu’un enfant arrive à l’école affamé, ça devrait immédiatement déclencher une enquête sur la famille. Une enquête brutale […] (Arthur 2015a).

En affirmant ceci, l’animateur vedette laisse entendre que les parents recevant de l’aide sociale négligeraient systématiquement leurs enfants, ce qui est loin de la réalité, et il encourage les préjugés à leur égard. Au moins, il reconnaît que l’aide sociale, « c’est minime ».

Un autre animateur, Carl Monette, s’en prend maintenant aux compétences intellectuelles des assistés sociaux sur les ondes de Radio X. Selon lui, « […] c’est normal, quand vous voyez des vox pop l’après-midi à TVA [de se dire] voyons, ils ont donc bien l’air d’une gang d’imbéciles, ben c’est ça, c’est l’après-midi, il est 2 h ; les gens brillants travaillent » (Monette 2015). On peut se demander si le fait de ne pas être suffisamment intelligent pour travailler pourrait constituer une contrainte aux yeux de l’animateur. Enfin, il va jusqu’à dire que ces personnes ne devraient pas se reproduire : « Tsé, quand t’es même pas capable de prendre soin de toi, tu devrais pas avoir à faire des enfants. Quand t’es rendu avec trois enfants et que t’es vraiment sur le seuil de la pauvreté, ça te tenterait pas d’acheter des capotes ? » (Monette 2014) Des propos qui avaient aussi été tenus par Myriam Ségal au FM93 : « L’aide sociale est présentée trop souvent comme un droit. […] OK vous essayez de vous en sortir, mais la façon de s’en sortir c’est pas de faire des bébés maintenant. Faites-les plus tard quand vous serez sortis de la chenoute [sic] » (Ségal 2012). Pour les empêcher de se reproduire, Carl Monette propose un moyen radical : « On fait du ménage là ! Je m’en fous où ce qu’on met les déchets nous autres après. Tu les castres avant » (Monette 2012). Jean-François Fillion à RadioPirate (sa propre webradio après l’un de ses nombreux congédiements) va encore plus loin : « Quêteux du métro Beaudry à Montréal avec 200 $ de tatous dans la face qui quête du cash pour manger : crève ! » (Fillion 2016)

De nouveau au FM93, Sylvain Bouchard appuie les nouvelles mesures coercitives proposées par le ministre Hamad pour les prestataires considérés « aptes » au travail ; on note ici la résonnance entre les discours populaire et officiel :

On salue Sam Hamad qui doit nous écouter sûrement tous les matins, parce que ce qu’il dit c’est ce qu’on dénonce depuis je ne sais pas combien d’années. Les groupes de défense de BS sont contre ça. Un programme qui veut inciter les jeunes à aller à l’école, les former, les aider, ils sont contres. Tout ce qu’ils veulent eux autres, c’est un gros chèque de BS […] Des fois, tu te demandes s’ils ont pas peur de perdre des clients […] Est-ce qu’ils ont intérêt, eux autres, à ce qu’il y ait moins de gens sur le BS ? […] S’il y en a moins, qu’ils aillent chercher leurs subventions, on a peut-être moins besoin d’organismes comme vous autres. […] Eux autres, plus il y a de pauvres, plus ils peuvent aller chercher un gros chèque du gouvernement pour grossir leur organisme […] (Bouchard 2016).

Bouchard ne semble pas connaître la réalité de ces organismes communautaires. En effet, ils vivent très souvent avec le minimum, doivent avoir des employés contractuels en fonction des subventions, accepter un salaire insuffisant, etc. Ces personnes y sont, la plupart du temps, parce qu’elles croient en leur mission, plutôt que par quête de profits. D’ailleurs, ce sont généralement des coopératives ou des organismes sans but lucratif, donc ils ne peuvent engranger des profits.

Enfin, il semble qu’il reste encore beaucoup de travail à faire pour coconstruire une société plus inclusive et équitable.

Poursuivons le combat!

 


[1] Numeris est une firme qui collecte et diffuse des données sur les types d’auditoires et sur les comportements des consommateurs de contenu de radiodiffusé (www.numeris.ca).

[2] Coalition sortons les radio-poubelles : www.sortonslespoubelles.com.

[3] « CA » pour co-animateur non-identifié.

[4] Voir  l’article suivant : « André Arthur congédié de BLVD 102.1 », https://www.lapresse.ca/arts/medias/201801/29/01-5151869-andre-arthur-congedie-de-blvd-1021.php.

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